Llorenç Perrié Albanell

Llorenç Perrié Albanell sur les nationalismes irlandais et catalan [interview]

29/02/2016 – 17h00 Perpignan (Lengadoc Info) – Nos confrères de Breizh Info ont interviewé Llorenç Perrié Albanell, auteur de « Nationalismes irlandais et catalans : convergences, similitudes et différences ». Nous reproduisons ici cette interview :

Llorenç Perrié Albanell est un militant catalaniste identitaire. Il a publié il y a quelques années un livre intitulé : « nationalismes irlandais et catalans : convergences, similitudes et différences », sur lequel il nous semblait intéressant de revenir, avec son auteur, en cette année du centenaire de la révolution irlandaise de Pâques 1916.

L’auteur tenait à être présenté comme identitaire , « car malheureusement depuis trop d’années le catalanisme, du moins en Catalogne du Nord, est amalgamé avec le gauchisme soixanthuitard, quand il n’est pas simplement la caution catalane des partis politiques parisianistes. Mon parcours est celui d’un militant identitaire classique qui s’inscrit dans la lutte contre ce système à tuer les peuples. Mon combat pour le retour à l’identité charnelle, interdit par le jacobinisme qui est intrinsèque à une grande partie de la pensée politique française, m’a conduit vers le courant relativement vaste que l’on nomme en France le régionalisme, courant qui regroupe aussi bien  le localisme que l’autonomisme ou l’indépendantisme. Pour m’a part je revendique l’indépendance de la Catalogne et la renaissance politique et culturelle des Pays Catalans (Països Catalans, PPCC), avec toutefois un pragmatisme bien pesé pour ce qui concerne la Catalogne du Nord, don la différence politique avec le Principat de Catalunya est largement palpable.

L’idée principale de mon combat est l’avènement de l’Europe des Patries Charnelles, celle aux cents drapeaux si chère à l’une de vos plus glorieuses figures du nationalisme breton, Yann Fouéré. D’un point de vue plus général j’apporte mon soutien et collaboration à divers mouvements et partis politiques catalans qui ont une ligne nationaliste et identitaire claire. Je collabore dans la revue Terre et Peuple Magazine, ainsi qu’à la réalisation de brochures bilingues, d’intérêt culturel ou politique. J’anime la bannière catalane Terra i Poble. Mon militantisme catalaniste s’exprime également dans le domaine de la culture et de la tradition populaire au travers du monde associatif.»

Nous l’avons interrogé sur son ouvrage qui compare les combats menés par deux peuples d’Europe qui ont été, ou sont encore (pour la Catalogne) sous la tutelle d’une autre nation.  Un livre qui apporte quelques pistes et clés pour ceux qui se battent au quotidien pour la défense de leur identité.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre comparaison entre les nationalismes irlandais et catalan ?

Llorenç Perrié Albanell : J’ai été frappé par certaines similitudes, comme par exemple le mode opératoire des nations impérialistes qui agissent toujours de la même façon : acculturation des colonisés et assimilation, en même temps que s’opère en parallèle la dépossession du pouvoir politique et du contrôle des moyens de productions et de subsistances ; ce qui rend difficile, mais pas impossible, les tentatives de libération nationale. Ensuite c’est évidemment les moyens de lutte et de récupération de l’identité nationale, qui encore une fois, s’avèrent être sensiblement les mêmes.

Breizh-info.com :   Vous sous-titrez « convergences, similitudes, et différences »votre ouvrage. Quand on le parcourt, et au-delà du livre, ce sont essentiellement les différences qui viennent à l’esprit. Différences de peuple, de civilisation également, différence des formes de luttes. Qu’est ce qui peut unir le combat irlandais avec le combat catalan ?

Llorenç Perrié Albanell : Evidemment qu’il y a des différences culturelles, nous ne parlons pas du même peuple. En revanche le fil conducteur de cet ouvrage et de montrer la similitude dans l’entreprise de destruction d’un peuple pour le soumettre à un état étranger. Ce qui unit les combats irlandais et catalans, bien au-delà de l’aspiration légitime à la liberté nationale, c’est en premier lieu cette volonté farouche de vouloir rester soi-même, de vouloir transmettre un héritage, linguistique et culturel, aux générations futures. Les premiers militants de cette « cause qui nous dépasse » étaient des éveilleurs de peuple, des jardiniers qui  ont su semer des graines fertiles qui ont fait éclore mille luttes sur le chemin de la liberté et du droit à la différence. Oui l’identité et l’histoire irlandaise et catalane sont différentes, mais à un moment donné de leur histoire, ces peuples ont suivi une même logique qui pour faire simple s’est déroulée de la manière suivante : prise de conscience identitaire, résistance et lutte pour la construction d’un état national et souverain.

Breizh-info.com :  pourquoi la Catalogne n’a pas connu, comme ETA en Euskadi – un mouvement armé d’importance en cette fin du 20 ème siècle ?

Llorenç Perrié Albanell : J’aborde évidement la question du terrorisme  dans mon livre. Je vais donc, pour tenter de répondre à votre question, vous citer deux extraits tirés de la page 32 et 33 : “Le dernier groupe terroriste catalan, Terra Lliure (Terre Libre) abandonna la lutte armée en 1991. Cette organisation a commis entre 1978 et 1995 environ deux cents attentats. Toutefois, « catalaniste » n’est pas synonyme de « terroriste ». L’action du catalanisme désormais s’inscrit en permanence dans l’étayage des sources historiques, de l’appui constant des institutions pour le domaine culturel, la recherche permanente de l’autosuffisance économique. Sans oublier une campagne permanente pour l’indépendance, aux élections locales et auprès des institutions internationales. L’action dans ce sens, c’est-à-dire démocratique, semble porter ses fruits, dans l’État espagnol du moins”. On peut dire que  “le mouvement catalaniste s’inscrit clairement dans une logique gramsciste de prise du pouvoir, stratégie qui consiste à mener une campagne de persuasion permanente au travers du mécanisme de la métapolitique, le renversement d’un système de valeur par la guerre culturelle”.

Nous voyons donc ici qu’il y a eu une organisation terroriste catalane, d’une importance moindre qu’ ETA certes, mais active quand même. Pourquoi ? Question de mentalité ? De stratégie ? D’orientation idéologique ? De moyens ? Manque de soutien dans la population ? Poser ce type de questions c’est presque y répondre. Ceci n’exclut en rien le fait que le peuple catalan a toujours entretenus de bonnes relations avec le peuple basque, de par la convergence de la lutte et la proximité territoriale.

Breizh-info.com :  Comment expliquez-vous par ailleurs la nette différence entre l’activisme en Catalogne espagnole (le référendum, les manifestations, etc) et la passivité en Catalogne Nord , la faiblesse politique des mouvements autonomistes ?

Llorenç Perrié Albanell : Il y a effectivement une nette différence entre le sud et le nord. Cette différence réside essentiellement dans la coupure territoriale historique que nous avons eu en 1659 lors du traité des Pyrénées. Depuis nous avons eu deux histoires séparées, deux évolutions bien distinctes, des régimes politiques différents, un reformatage de la notion de citoyenneté et de nationalité. La République française a toujours semé le doute dans la plupart des esprits afin d’écarter habilement toutes revendications autonomistes. Citons quelques exemples : le roman national, l’interdiction et la marginalisation des langues régionales, pas ou peu d’enseignement de l’histoire locale, le mélange inter-régional, les mutations de fonctionnaires, le brassage par le service militaire obligatoire, les guerres fratricides entre européens avec l’emploi de régiments régionaux comme pour la première guerre mondiale. Toujours avec l’idée maitresse que la nation est une est indivisible, que la seule langue officielle de la République est le français. Vous rajoutez à ça un centralisme outrancier, l’état providence et des générations formatées à l’école de la république, on peut comprendre que peu de personnes soient sensibilisées à la question régionale. De plus des sujets comme le régionalisme, le fédéralisme ou l’autonomisme sont des sujets peu connus en France ou tout simplement tabous, quand ils ne sont tout simplement pas confondus volontairement dans les thèses complotistes. Dans la péninsule ibérique, les choses sont différentes, il y une tradition des fueros, c’est-à-dire les droits coutumiers locaux. Pour faire plus simple, nous avons subi deux cents ans de République jacobine, en tout plus de 350 ans d’annexion et de négation de ce que nous sommes, les Catalans au sud ont eu quarante ans de franquisme, les effets ne sont pas les mêmes.

Pour ce qui est de la faiblesse du catalanisme politique en Catalogne du Nord, plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Un des plus important à mon sens a été la gauchisation des idées « régionalistes », cela doit bien remonter à l’époque de mai 68 et des luttes du Larzac. Une époque propice au confusionnisme de toutes sortes, où l’on a vu se mélanger à la fois  l’idée fédéraliste et autogestionnaire avec les élucubrations libérales-libertaires. La lutte sociale et culturelle d’émancipation nationale s’est transformée en une lutte sociétale d’émancipation individuelle et de culture ouverte. Par exemple, qu’est-ce que le féminisme et la défense des sans-papiers viennent faire dans la lutte pour l’autodétermination d’un territoire ?  La légitime revendication  de récupération de l’héritage identitaire ethnique s’est transformée en concept du « nouveau catalan », concept finalement à  l’image d’une République française que certains catalanistes prétendent combattre avec les mêmes tares idéologiques. Des revendications telles que « la Catalogne pour les Catalans » ou le  fameux slogan « vivre et travailler au pays »  sont aujourd’hui travestis ou tout simplement bannis. Peu à peu l’idée que n’importe qui peut s’installer chez nous et être intronisé Catalan après un simple apéritif de bienvenue offert par la mairie où on leur présente des autochtones en costume traditionnels a fait son chemin ; cette idée a fait de nous, d’un point de vue extérieur, une province comme les autres. Ce type de dérive est dangereuse, la surcharge démographique et le chômage de masse n’est pas pris en compte, de plus ce sont souvent les déshérités de France et de Navarre qui viennent s’installer chez nous, car selon la formule consacrée, la misère est plus supportable au soleil. Autant vous dire que ces gens-là viennent chercher autre chose ici que le maintien de la culture catalane et l’autonomie territoriale. En quelque sorte on peut dire que le mouvement catalaniste au nord a fortement singé les méthodes grotesques et dangereuses d’une République qu’ils dénoncent.  On peut également parler de la manipulation de l’anticolonialisme justifié qui dénonce en permanence la mainmise de Paris sur notre territoire, mais qui par commodité n’évoque pas la colonisation extra-européenne, il s’agit pourtant de deux périls mortel pour notre identité.

Ces élucubrations, qui non rien à voir avec l’autonomisme, investissent malheureusement les milieux culturels ou politiques du catalanisme au nord, et elles ne sont vraiment pas en phase avec la population locale qui vote massivement pour le Front national. Un FN mené par Louis Aliot qui totalise pour le second tour des élections régionales de 2015 dans notre département  32,65% contre seulement 24% pour Carole Delga de la liste  PS/PRG aujourd’hui présidente de la nouvelle région, et 18,63% pour Dominique Reynié de la liste LR/UDI/ MoDem/CPNT. Pour vous donner un exemple sur ces dernières élections régionales, la Gauche républicaine de Catalogne, ERC, s’est alignée au premier tour sur le candidat Gérard Onesta de la liste « Nouveau monde » EELV/Front de Gauche/Parti Occitan, cette liste n’a totalisé que 9 ,92% des voix. Au second tour l’ERC a soutenu la liste PS de Carole Delga, comme le collectif autonomiste SEM. Quant à la formation centriste CDC, Convergence démocratique de Catalogne, pour la première fois,  à ma connaissance du moins, elle n’a pas soutenu de liste.   

Les résultats obtenus par le FN ne sont pas forcément le fruit d’un vote d’adhésion massif. C’est le vote d’un peuple excédé par l’insécurité, tant sociale que physique, et les vagues migratoires qui mettent en péril notre façon de vivre. Ces votes massifs expriment le rejet d’une caste politicienne professionnelle momifiée, une classe auprès desquelles  le catalanisme local cherche toujours à s’allier, se discréditant toujours un peu plus. Nous noterons avec profit, que la ligne jacobine, fortement agressive du Front national en Catalogne du Nord, contribue à faire en sorte que le FN ait du mal à s’implanter localement hors élection.

Breizh-info.com :  En cette année 2016, nous célébrons les 100 ans de la Révolution irlandaise. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Llorenç Perrié Albanell : Question pertinente. Même si je ne suis pas un spécialiste de l’Irlande et que le sujet d’étude de mon livre porte uniquement sur les similitudes dans le cadre du militantisme indépendantiste limité à une certaine période, je vais tenter d’apporter quelques éléments. L’Irlande du Nord est toujours aux mains des Anglais, les années de luttes sanglantes n’y ont rien changées. L’héroïsme patriotique et social de Pâques 1916 a laissé la place à des questions plus sociétales en vogue dans toute l’Europe, comme par exemple le référendum sur l’autorisation du mariage homosexuel en 2015 approuvé par 62% de la population.

L’Irlande n’est pas non plus en marge sur la question migratoire, au contraire, il fait bon ton d’afficher sa préférence pour le lointain plutôt que pour son prochain. Il y a peu un ami qui a passé plusieurs mois en Irlande, me faisait remarquer sa surprise de voir attribuer dans de nombreuses entreprises les postes de commandement à un bon nombre d’étrangers simplement en raison de cette qualité.

Apparemment la discrimination positive à la française a fait des émules en Irlande. D’un point de vue économique l’Irlande est également victime de l’austérité, des spéculateurs et des soi-disant sauvetages ratés de la Troïka don elle sera le premier pays européen à sortir d’un tel programme le 15 décembre 2013. Une dette publique qui incite les ténors de la Commission européenne en 2013 à demander toujours plus de libéralisme avec «  un  pacte de compétitivité », réduction des protections dans le monde du travail, baisse des salaires, privatisation…entendre ici toujours plus pour les barons de la finance et du capitalisme international au détriment des travailleurs. Un modèle bien entendu qu’il faudrait pour ces gens exporter plus tard partout en Europe. Il s’agit d’une situation économique qui entraine une paupérisation de la population, ce qui incite comme déjà dans le passé à l’émigration. En 2012 l’Irlande a connu le plus fort taux d’émigration de l’U.E, une émigration qui favorise également le Grand remplacement.

Nous sommes évidemment loin des rêves qui ont pu naître au lendemain de la Révolution irlandaise écrasée dans le sang.

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